Vélo cargo Deluxe?

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Vélo cargo Deluxe?

Temps de lecture estimé : 10 minutes.

S’il y a bien une question qui fait l’unanimité auprès des particuliers, des pro, des personnes qui sont déjà acquises à la pratique du vélo et de celles qui veulent se lancer c’est : pourquoi les vélos cargo sont-ils si chers? “c’est juste un vélo”, “c’est presque le prix d’une petite voiture d’occasion”, “un scooter avec une grande caisse pour faire de la livraison est moins cher”, “ce n’est pas du tout accessible pour les personnes qui ont des revenus modestes”.

Notre petite fibre Elise Lucet nous a poussé.es à lever le voile sur cette question qui trouve toute sa résonance avec la publication de l’appel à projet de l’Etat “Industrie du vélo - France 2030” qui vise à encourager les projets de production locale dans le secteur du cycle.

Alors, quelle est la structure du prix et du coût d’un vélo cargo ? Comment expliquer les différences de prix parfois significatives entre les marques ? Répondre à ces questions en amène bien d’autres, notamment en lien avec les logiques de commerce mondialisé, d’investissement dans des chaînes de production industrielles, du rôle des pouvoirs publics.

Pour nous aider dans ces réflexions, nous avons échangé avec des constructeurs de vélo-cargo qui ont à cœur de produire le plus localement possible leurs produits. Un grand merci à Stefano Moruzzi de Veloe, Thomas Coulbaut de Douze Cycles, Jérôme Mortal d’Ultima Mobility et Michel Bertrand d’Ili Cycles. Nous avons également pu nous entretenir avec Florence Gall, déléguée de la Filière Vélo de l’APIC, pour nourrir l’approche politiques publiques du sujet.

La structure du prix et ses déterminants : ton kit d’assistance électrique pèse dans le game

Des composants et des gammes

Surprise: ce n’est pas la partie la plus lowtech qui est la plus onéreuse sur nos fabuleux vélos cargo. En effet, le kit d’assistance électrique (motorisation et batterie) représente entre 40 et 50% du coût des pièces d’un vélo cargo à assistance électrique. Médaille d’argent, le cadre, pièce plus complexe à produire que pour un vélo classique, est le deuxième poste de dépense, soit entre 20 et 30% du coût total. La part de ce dernier est plus réduite pour les vélos classiques qui sont, eux, produits à plus grande échelle avec des équipements industriels amortis.

Thomas Coulbeaut, CEO de la marque française Douze Cycles, précise également qu’avec un usage sous contrainte (poids) et souvent intensif des vélos cargo, “il n’est pas possible de faire l’impasse sur la qualité des composants périphériques” (ndlr. freins, transmission, roues). Les différences ne sont parfois pas négligeables en matière de gamme et peuvent ajouter un surcoût allant de 300€ à plus de 1 000€ sur un vélo. Pour des vélos à assistance électrique, certaines marques préfèrent proposer des prix plus attractifs en les équipant de composants périphériques d’entrée de gamme et moins performants.

Ces coûts sont des marqueurs de qualité, sécurité, performance et réparabilité. L’ensemble des constructeurs interviewés est unanime sur ce point. Un moteur de la marque Bosch, très qualitatif, est bien plus cher que celui d’une marque milieu de gamme telle que Bafang. Derrière ces coûts ne se cache pas uniquement la qualité mais aussi la réparabilité et la performance du SAV de la marque. Nous vous proposons quelques tableaux comparatifs qui présentent des ordres de grandeurs liés aux gammes entre les équipements structurants d’un vélo cargo : moteurs, batteries et transmissions.

Type de moteur Couple Prix public TTC approx (hiver 2024)
Bafang moteur roue AR (moteur + contrôleur + capteur de couple) Calcul différent des moteurs pédaliers, non comparable Entre 500€ et 600€
Bafang moteur pédalier M410 HD 90 Nm Entre 700€ et 800€
Shimano EP8 85Nm Entre 950€ et 1100€
Bosch Cargo Line 85Nm Entre 950€ et 1100€


Type de transmission Ecart prix par rapport à la base
Dérailleur (Shimano Deore 10S vitesses) Base
Moyeux intégré nexus 5 avec chaîne +200€
Moyeu intégré Enviolo Heavy Duty avec courroie +600€


Type de batterie Prix public TTC approx (hiver 2024) Ecart prix par rapport à la base
Batterie Shimano/Bosch 418Wh Entre 400€ et 600€ Base
Batterie Shimano/Bosch 504Wh Entre 600€ et 900€ +200€
Batterie Shimano/Bosch 630Wh Entre 800€ et 1000€ +400€


La spécificité de l’objet vélo cargo vient intrinsèquement impacter sa structure de prix. Stefano Moruzzi, le fondateur de la marque italienne Veloe, nous indique que les accessoires dédiés aux vélos cargos viennent gonfler le prix final : par exemple une béquille plus renforcée avec un design spécifique, des coussins, des assises, etc. Il est complexe de réaliser des économies d’échelle sur les composants et accessoires adaptés aux vélos cargos compte tenu des faibles volumes vendus en Europe (environ 100 000 unités vendues en 2022 - donnée de projection issue de l’étude du City Changer Cargo Bike), comparativement aux vélos à assistance électriques (plus de 5 millions en 20231). En France, les données de l’Observatoire du Cycle montrent que, bien qu’en progression constante, les ventes de vélos cargo représentent seulement 2% (11 000 unités) des vélos vendus (contre 348 000 vélos à assistance électrique et 285 000 vélos classiques, soit respectivement 54% et 43% du marché)

Le mystère des prix élevés des kits d’assistance électrique

Concernant les coûts relativement élevés des moteurs de vélos à assistance électrique, plusieurs hypothèses peuvent être formulées mais il est difficile de donner une réponse définitive (ou bien très scientifique - on essaie de vous trouver une idée de thèse par article de blog <3): volumes, technologie qui nécessite d’être davantage éprouvée, matériaux onéreux etc. Thomas Coulbeaut donne un argument intéressant : “il est compliqué de concevoir et produire un kit d’assistance électrique de vélo fiable. La batterie et le moteur sont très exposés, notamment aux intempéries, et doivent fonctionner avec des êtres humains via le pédalage, ce qui crée de la complexité. Un grand nombre de capteurs doivent restituer le couple (ndlr. exprimé en Newtons par mètre (Nm), c’est la force délivrée par le moteur) et un comportement agréable pour la personne qui pédale. Les composants doivent produire un gros rendement dans un contexte contraint par la taille, la température, la précision attendue. Ce n’est pas juste un moteur électrique”. A méditer…

Captivité et empilement de marges : coucou les fournisseurs

Comme dans beaucoup de secteurs de fourniture de biens, le prix de vente est très dépendant de l’augmentation des prix de certains composants. Stefano Moruzzi et Jérôme Mortal confirment que pour certaines pièces structurantes sur lesquelles ils n’ont pas la main en matière d’ingénierie, moteurs, batteries, phares, ils sont obligés de répercuter les hausses tarifaires de leurs fournisseurs sur le prix final de leur vélo. C’est sur ce point que l’on touche du doigt l’intérêt de la relocalisation et de l’internalisation grâce à l’augmentation des volumes de production. Pour les tâches (assemblage) et les composants dont ils ont la maîtrise de la production (cadres, roues), ils peuvent limiter l’augmentation des prix, voire les faire baisser ! L’internalisation, lorsqu’elle est pertinente, permet ainsi d’éviter le phénomène d’empilement des marges des fournisseurs intermédiaires et de maîtriser les coûts ainsi que la qualité.

Eternels déterminants des prix : lieux de production et part de la main d’œuvre

Classique conséquence d’une économie mondialisée et interdépendante, le lieu de fabrication et d’assemblage impacte considérablement le prix de sortie des vélos cargos. Pour la fabrication d’un cadre, “cela va du simple au quadruple entre la Chine et la France” nous explique Thomas Coulbeaut. Pour l’assemblage d’un vélo cargo, l’écart est encore plus important “50 dollars en Chine et 300 euros en France”. Pour certains composants plus spécifiques, le rapport peut monter jusqu’à 10, indique Jérôme Mortal, le fondateur de la marque de vélos à assistance électrique made in France Ultima Mobility. Par exemple, le phare avant fabriqué en Allemagne qu’il avait ciblé pour son vélo coûtait 55€, quand ses compétiteurs proposaient des phares à 5€ produits en Asie. L’impact n’est pas négligeable sur le prix de vente du vélo… C’est sur ce point en particulier que le rôle de l’Etat et de l’Union Européenne est crucial pour valoriser les entreprises qui produisent et assemblent sur les territoires proches (plus de détails dans le chapitre 10 de cet article fleuve !).

Augmenter les volumes pour baisser les prix : l’industrie automobile et du scooter tu peux pas test

Nous entendons souvent des personnes s’effarer des prix similaires entre un vélo cargo à assistance électrique et une petite voiture - et on pourrait les comprendre ! C’est un peu comme comparer… je ne trouve pas de comparaison… ALED ! En tout cas, les volumes permettant de réaliser des économies d’échelle et proposer des prix de vente faibles sont sans commune mesure avec ceux de notre petite industrie du vélo cargo (pour cet article on a troqué les articles Mediapart pour l’Argus): le marché automobile mondial représente plus de 80 millions d’unités en 20232.

Jérôme Mortal d’Ultima Mobility, qui a réalisé une partie de sa carrière dans le secteur automobile, imagine que “si on industrialise vraiment, on pourrait viser un vélo cargo à 1500€ en prix de revient, mais à ce stade il est compliqué de massifier en Europe, tant que les volumes restent faibles”. Plus les volumes augmenteront, plus cela permettra de faire baisser les coûts de vente en rentabilisant rapidement les outillages (ndlr. l’ensemble des appareils et outils nécessaires à la production) et en réduisant au global la part de la main-d’œuvre (qui est plus coûteuse lorsqu’on relocalise). Pour cela, un travail de design sur les pièces et les produits spécifiques au vélo cargo devra être réalisé pour qu’ils puissent plus facilement être industrialisés. A ce jour, le travail de prosélytisme pour propulser les ventes de vélo cargo reste immense : même le nouveau vélo cargo biporteur du géant Décathlon affiche un prix de vente à 4 999€.

Nous en sommes au balbutiement des synergies entre le monde de l’automobile et du vélo cargo, aujourd’hui incomparables. L’industrie automobile n’est pas en reste puisqu’elle s’intéresse de près au sujet depuis quelques années en réalisant des partenariats avec des marques existantes, que ce soit pour des usages grand public ou professionnel (Douze Cycles et Toyota, Ono et Mercedes-Benz, Kleuster et Renault Trucks, Ultima Mobility et des concessionnaires automobiles indépendants). To be continued (notre boule de cristal est en panne).

Chaîne de valeur et production locale : la recette que vous n’entendrez pas chez “On va déguster !

Les leviers utilisés par les marques produisant localement : essayer de jouer avec les règles d’un marché inéquitable

Comprendre la chaîne de valeur des vélos cargo, c’est-à-dire les différentes étapes de la production jusqu’à la vente, permet d’identifier les leviers de valorisation des marques produisant localement. En effet, comment des marques ayant une structure de coût plus importante en produisant localement, peuvent-elles proposer une offre concurrentielle face à des marque produisant et assemblant en Asie ? Les témoignages de nos quatre fabricants de vélo cargo ayant alimenté l’analyse qui suit:

Matière première / fournisseurs Production en propre et assemblage Transport Distribution et réseau SAV Impôts
Entre 35% et 40% (dans le détail le coût des matières premières est de 20% et la marge des fournisseurs de 20%) 25% 5% Entre 20 et 25% Entre 15% et 20%
         


Pour être concurrentielles face aux marques produisant et assemblant en Asie les marques locales interrogées ont développé des stratégies différentes pour aligner au maximum leurs prix, en fonction de leur taille de structure et de leurs ambitions de développement.

  • Petite PME artisanale dédiée aux professionnels : Michel Bertrand d’Ili Cycles active le levier de baisse des prix de vente en réduisant pratiquement à zéro la partie dédiée à la distribution dans sa chaîne de valeur. “Avec environ 60 vélos produits par an je reste un artisan !”. En effet, le choix d’une production à l’échelle plutôt artisanale, avec de la vente directe à des professionnels qui internalisent souvent la maintenance, lui permet de réduire la part consacrée à la distribution et au réseau de SAV. Les enjeux liés au à la gestion du SAV via un réseau de revendeurs se poserait différemment s’il s’adressait en grande partie à des particuliers (ça pourrait presque être l’objet d’un autre article de niche !) .
  • PME à vocation de développement important sur le marché européen : Stefano Moruzzi de Veloe et Thomas Coulbaut de Douze Cycles ont une production plus importante et des perspectives de développement à l’échelle européenne qui ne leur permettent pas de se passer d’un réseau de distribution et de SAV. S’appuyer sur un solide réseau de revendeurs est essentiel dans leur stratégie. Le levier de réduction des coûts se fait, pour ces marques, au niveau des intermédiaires et des coûts d’acheminement des composants grâce à la relocalisation de la production (des cadres notamment).

Les institutions devraient ajouter leur grain de sel pour limiter les distorsions de marché

Sur un marché où tous les acteurs ne jouent pas avec les mêmes cartes (production et assemblage en Asie à des coûts très bas, et parfois, qualité moindre), les institutions doivent jouer un rôle à deux niveaux :

  • Contraindre, via des taxes, des droits de douane, des réglementations, les entreprises qui ne font pas l’effort de réaliser (assembler et/ou produire) un maximum localement (Union Européenne)
  • Valoriser, via des subventions et de la mise à disposition d’infrastructures, les entreprises faisant l’effort de produire et d’assembler localement, ne serait-ce que parce que cela valorise les territoires (emploi, savoir-faire, indépendance industrielle) et réduit l’empreinte carbone de la production.

Les institutions européennes ont un rôle très important à ce niveau et ont la main pour changer complètement la donne. La Commission européenne a instauré en 20193, notamment avec le travail important de plaidoyer réalisé par l’EBMA (European Bicycle Manufacturers Association), des droits antidumping allant jusqu’à 48% pour les vélos à assistance électrique en provenance de Chine. Afin de limiter les contournements d’entreprises faisant expédier les vélos produits en Chine depuis d’autres pays, le règlement européen précise qu’il est “étendu aux importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de Malaisie, de Sri Lanka, de Tunisie, du Cambodge, du Pakistan et des Philippines, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ces pays”. La Commission doit décider d’ici à la fin de l’année si elle prolonge ou non les taxes antidumping et antisubventions sur les vélos électriques en provenance de Chine et cela fait débat entre les producteurs européen versus les purs assembleurs (plus de détails ici).

Le cadre réglementaire européen est un levier redoutablement efficace et indispensable pour faire évoluer les pratiques du secteur. Par exemple, la Commission Européenne travaille avec la CONEBI (Confederation of the European Bicycle Industry), sur un projet de réglementation concernant la réparabilité des batteries des vélos à assistance électrique via la possibilité de remplacer les cellules des batteries (ce n’est actuellement pas le cas sur la majorité des batteries vendues sur le marché)4. Si cette réglementation venait à voir le jour, cela permettrait de limiter grandement l’impact environnemental de ces batteries en les rendant réparables !

Les Etats, à leur échelle, participent de cette dynamique et l’Etat français s’est clairement emparé du sujet. Le constat n’est pas surprenant, seuls 850 000 des 2,5 millions de vélos vendus chaque année en France sont assemblés dans l’Hexagone, soit 34%5. Et Florence Gall, déléguée de la Filière Vélo de l’APIC (Association de promotion et d’identification des cycles et de la mobilité active), de préciser “la part des cadres fabriqués en France reste faible : 10 000 cadres en 2022. Par ailleurs, peu de composants sont produits sur le territoire”. Lors de l’entretien que nous eu avons elle, Florence nous explique les différents leviers d’action sur lesquels travaille France Vélo pour relocaliser et rendre attractif aux yeux des industriels comme des consommateur.ices le Made in France:

  • Créer des lieux et des infrastructures qui permettent de massifier l’assemblage pour le compte de plusieurs marques afin de diminuer et partager les coûts ;
  • Imaginer des comptoirs industriels qui permettent de mutualiser les besoins entre les acteurs du vélo français. Ils pourraient soumettre un cahier des charges commun pour certains composants à produire en France et ainsi bénéficier de prix attractifs compte tenu du volume. Sur cet axe, la difficulté concernant le secteur du vélo cargo pourrait être le fait qu’il y a moins de volume et que les pièces très spécifiques ne permettent pas de réaliser d’importantes économies d’échelle.
  • Signer un contrat de filière via l’Appel à Projet France Vélo 2030. L’Etat va ainsi investir 55 millions d’euros pour relancer la fabrication et l’assemblage de vélos sur le territoire6. “La France a un passé lié au vélo - avec la désindustrialisation, nous avons tout vendu… C’est un cas d’école. Cela permettra d’accompagner, d’inciter les structures à relocaliser et inverser à nouveau la tendance.” encourage Florence Gall. Ainsi, avec ces aides à l’investissement, l’un des premiers freins à la relocalisation pourra être levé !
  • Travailler sur le label “Cycle Score” avec l’ADEME et l’AFNOR. Ce label intégrera des indicateurs sur le volet sociétal et environnemental afin d’afficher aux consommateur.ices de la transparence sur les conditions de production et d’assemblage. Nous pourrions imaginer qu’à terme cela puisse aussi devenir une condition pour les aides à l’achat de vélo cargo !

Le pouvoir adjudicateur (désolée ça faisait bien trop longtemps que je n’avais pas pu utiliser cette expression), autrement dit les acheteurs publics, peuvent jouer le rôle de prescripteurs en obligeant les entreprises répondant répondant à des appels d’offres publics à respecter certains critères. Par exemple, Ile-de-France Mobilités a fixé la barre haute dans le cadre de la sélection de l’exploitant de son service de vélo Véligo Location. L’origine et la qualité de chaque composant des modèles de vélos sont scrutées à la loupe. Les entreprises répondantes doivent trouver des fournisseurs pertinents au regard du cahier des charges: relocalisation au maximum, réparabilité, recyclabilité !

Plongée dans l’aventure de la production locale de vélos cargo

Motivé.es, motivé.es, il faut rester motivé.es

Les fabricants de vélo cargo interrogés dans le cadre de cet article évoquent différentes motivations quant au choix de produire le plus localement possible leurs vélos et de sourcer des composants respectant la même éthique de travail.

  • Reprendre la main, suite aux pénuries d’approvisionnement en pièces détachées venues de Chine, liées au Covid-19. Certaines marques ont fait le choix de relocaliser la production des cadres à partir de 2021, respectivement en Italie pour Veloe et en France pour Douze Cycles.
  • “Participer à un projet qui a du sens et s’adapter aux usages”, c’est la dynamique de Michel Bertrand, le fondateur d’Ili Cycles.

Ils sont tous les quatre unanimes quant aux avantages d’avoir relocalisé une grande partie de leur production :

  • Éviter les situations de sur-stock, qui font actuellement le malheur de l’industrie du cycle en entraînant une baisse des prix et mettant à mal même les plus gros acteurs dont Accell Group7. Pas besoin de conteneurs qui arrivent tous les deux mois avec des cadres à assembler. La production des cadres de manière locale permet de s’accorder avec une fréquence de production et d’assemblage hebdomadaire, en flux presque tendus, ce qui lisse les stocks et réduit l’emprise au sol (2 en 1, comme l’Oréal, bon pour les finances de l’entreprise et pour les sols qui sont moins artificialisés).
  • Sécuriser les postes de dépenses liés au transport. C’est un poste de dépense très volatile, qui est soumis aux crises climatiques, géopolitiques et parfois techniques (ndlr. On se souvient de la sardine qui a bouché le Vieux Port de Marseille du porte-conteneurs géant Ever Given qui a bloqué le canal de Suez en 2021). “La part des coûts du transport peut ainsi aller de 15 à 40% en fonction des périodes !” souligne Thomas Coulbeaut.
  • Maîtriser la qualité en éprouvant les technologies et en améliorant continuellement les processus industriels. Stefano Moruzzi de Veloe nous confie qu’il est passé de “4 heures pour produire un cadre lorsqu’on a relocalisé, à 40 minutes aujourd’hui.”
  • Faciliter l’innovation. “Je peux par exemple apporter rapidement des modifications aux pièces du vélo si mes clients me font remonter des besoins. Je m’adapte aux usages” nous explique Michel Bertrand d’Ili Cycles.

Le frein le plus important : la prise de risque et l’investissement initial

Relocaliser ne se fait malheureusement pas avec de la poudre de perlin pinpin. L’investissement initial reste la plus grande difficulté identifiée par Douze Cycles, Veloe et Ultima Mobility. En effet, comment faire lorsqu’on est une PME, et non un grand groupe avec une structure capitalistique aussi importante que Décathlon, qui produit des volumes permettant de rentabiliser la relocalisation d’une partie de ses activités en Pologne et au Portugal (via son sous-traitant RTE) ? La réponse n’est pas étonnante: le capital initial et les aides publiques !

Les investissements en moules et gabarits d’usinage (outillages nécessaires au processus de fabrication industriels) sont importants. Pour les rentabiliser, il faut s’assurer que les choix retenus permettent d’automatiser au maximum les processus de production et que le carnet de commande soit plein pour amortir les investissements. Par exemple, Douze Cycles a pu réaliser les investissements grâce à la moitié des commandes assurées par Toyota et une aide de l’ADEME (France 2030 dont on a parlé plus haut). Jérôme Mortal d’Ultima Mobility indique que pour son cadre, il a dû investir environ 100 000 euros en R&D puis pas moins de 500 000 euros pour le moule , dans l’optique de pouvoir produire un cadre de vélo à assistance électrique (il ne s’agit pas de vélo cargo, attention) qualitatif et bon marché afin d’être concurrentiel sur le prix de vente.

La prise de risque n’est pas seulement financière. Les risques industriels sont aussi prégnants. Le processus de relocalisation nécessite un temps de travail assez long avec différents fournisseurs pour choisir la technologie la plus pertinente (fiabilité, économie, performance) et adapter le design du vélo à ces nouveaux paramètres. Le temps d’apprentissage n’est pas anecdotique non plus. “Relocaliser c’est aussi réapprendre” affirme avec sagesse Stefano Moruzzi de Veloe. Il indique qu’il leur a fallu presque un an et demi avant d’être satisfaits du cadre fabriqué en Italie. Étape par étape, ce cadre a été amélioré. Ils ont, par exemple, supprimé le brasage à la main8 grâce à une nouvelle technologie proposée par un robot dont ils ont fait l’acquisition : le cold metal transfer (soudage à froid).

La contrainte comme vecteur d’innovation

De même que nos cerveaux se révèlent être plus créatifs via des contraintes formulées (petit podcast ici), les entreprises ont utilisé les contraintes de la production locale comme vecteur d’innovation industrielle. Les paramètres qui sont pris en compte dans les choix opérés sont : la localisation, la disponibilité des matières premières, la technologie et le savoir-faire disponible.

Lorsque Stefano Moruzzi de Veloe a choisi de relocaliser en Italie la production de son cadre, le choix de la matière première a été orienté par la disponibilité de la matière et le savoir-faire présent localement : “L’Italie a une grande tradition de production de cadres de vélo en acier. Il était plus simple de produire un vélo en acier plutôt qu’en aluminium ”

La contrainte influence également le choix des lieux de production ainsi que les procédés techniques retenus pour produire les cadres. La question s’est posée pour Douze Cycles :

  • La production de ses cadres de longtail a été relocalisée au Portugal car aucune usine en France n’était capable de produire des cadres en aluminium mécano-soudés.
  • Pour leur nouveau biporteur hêta, la marque française a finalement retenu le procédé industriel de la fonderie d’aluminium, disponible en France. Cette technique étant éprouvée, cela limitait les risques en matière de qualité.

“Il y a un arbitrage constant entre qualité et durabilité des pièces, disponibilité pour le SAV et localisation de la production. Je veux bien acheter français mais il faut que ça marche” confie Michel Bertrand d’Ili Cycles. En effet, certaines pièces ne se trouvent pas en Europe - le travail de relocalisation des chaînes de fournisseurs prendrait plusieurs décennies :

  • Pneus (Malaisie, Indonésie, Vietnam) ;
  • Freins (Taïwan, Japon) ;
  • Transmission (Japon) ;
  • Kit d’assistance électrique, c’est -à -dire moteur, batterie, display (Chine) - Même Bosch qui est allemand produit en Asie. Par ailleurs, fournir une marque standard que l’on trouve facilement, même si elle n’est pas produite localement, permet d’améliorer la réparabilité d’un produit. “L’avantage d’acheter Shimano c’est qu’on en trouve n’importe où dans le monde, ça facilite la maintenance” précise Michel Bertrand.

Vous avez terminé la lecture de ce nouvel article fleuve, bravo ! Alors, vous pensez plutôt que la valeur d’un vélo cargo réside ailleurs que dans son prix ou bien que rien n’a de valeur et que tout a seulement un prix de marché ? Nous, nous pensons comme l’économiste Alfred Marshall. C’est à dire qu’à court terme le prix des vélos cargo s’établit en fonction de l’offre et la demande sur le marché (et plein de petits grains de sable supplémentaires à prendre en compte : les préférences des consommateur.ices, la rareté, le côté ostentatoire, le covid-19, etc.) mais qu’à long terme… ça sera la valeur objective du vélo cargo qui primera (les gros cailloux comme le coût de production, la technicité, des heures de travail nécessaires, etc.). Et c’est sur ce point que les PME que nous avons rencontrées doivent jouer les équilibristes pour … équilibrer leur compte de résultat, dans un contexte de marché où les prix sont tirés vers le bas (dumping, surstock, baisse de la demande) et couvrent parfois difficilement le coût global de production.

Vous l’avez compris, si vous souhaitez en savoir plus sur le cold metal transfer ou comment glisser des blagues dans votre dossier de réponse à l’appel à projet France 2030 “L’industrie du vélo”, prenez un petit rendez-vous :) Aux acteurs de ce domaine, Big Bikes Consulting propose d’éclairer leurs choix dans un secteur du vélo cargo mouvant et de les accompagner efficacement pour des recherches de financement, du pilotage de projets, de la rédaction de cahiers des charges (et moultes autres gapettes dans notre musette) !




  1. Petit article de Frandroid sur les ventes de vélos assistance électrique  

  2. Peut-être la première fois que vous cliquez sur un lien vers le site de l’Argus, faites un voeux  

  3. Règlement européen  

  4. Article de Bike Europe sur le cadre règlementaire européen qui permet de développer le secteur du cycle  

  5. Le Plan Vélo pour relancer la filière française du cycle sur France Info  

  6. Article de Novethic sur le Plan Vélo  

  7. Article des Echos sur les ventes de VAE qui flanchent…

  8. procédé d’assemblage permanent qui établit une liaison métallique entre les pièces réunies. Contrairement au soudage, il n’y a pas fusion des bords assemblés.