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Contexte: merci de l’avoir posée (la question)
Pour notre premier article de blog, on a choisi de s’attaquer à un sujet facile. Faut dire qu’on aime jeter des petits pavés dans la mare. Toutefois, force est de reconnaître que ce petit pavé là a déjà été jeté bien avant nous par d’autres. Non, nous ne sommes pas les seul.es à nous poser des questions existentielles.
Depuis quelque temps déjà la définition du vélo cargo est portée à ses extrêmes: on parle de vélos cargos compacts (cf. l’infographie du Concentré de Vélo) et on voit à l’inverse se déployer en cyclo-logistique des cargos ultra-capacitaires comme ceux de Kleuster distribués par Renault Trucks par exemple (jusqu’à 300 kg de charge utile - un biporteur “classique” a en général une charge utile de 100 kg). On parle même de véhicules intermédiaires, et il y a un salon dédié à ce sujet désormais (merci Gabriel Plassat d’alimenter les réflexions depuis plusieurs années sur ces sujets à travers La Fabrique des Mobilités). Notre passage au salon international du vélo cargo (ICBF) a achevé de remettre en cause nos certitudes: des quadricycles GOLO équipés d’une transmission électronique CIXI Life (pas de chaîne, ni de courroie, “R” quoi), d’énormes tricycles hyper capacitaires dont 80% des composants viennent de l’industrie automobile.
…Mais qu’est-ce qu’un vélo cargo?!
Si la question est rhétorique, les pistes de réponses n’en seront pas moins théoriques (on va essayer de glisser des blagues pour que ce soit aussi digeste que d’enchaîner une vingtaine de vidéos tik tok). Cependant, spoiler alert, il n’y a pas de réponse définitive à la question !
Introduction: on pose la “problématique”
Sans vouloir commencer une thèse (cela pourrait être un sujet ultra passionnant en vrai, on vous attend les CIFREs !), ni entrer dans des considérations philosophiques de constructivisme épistémologique1 déjà complexes (c’est fait exprès pour vous faire peur), il nous semble important avant cela d’essayer de se questionner sur ce qui vient titiller les frontières de la définition de cet objet qu’est le vélo cargo:
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la forme, la fonction et les usages: le nombre de roues par exemple. Ou encore le mode de propulsion via l’assistance électrique questionne - à quoi bon pédaler si une transmission sans chaîne, purement électronique, actionne le moteur? Transporter des choses lourdes et volumineuses, mais jusqu’à quel point - devenir une sorte de mini véhicule utilitaire léger ? Et les remorques dans tout ça?
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la technique et la mécanique: la rencontre de l’univers automobile avec celui du cycle? Des freins à main des caméras embarquées apparaissent sur des modèles de tricycles. Certains fournisseurs de pièces cycle commencent à développer des gammes spécifiques aux vélos cargos alors que d’autres constructeurs ont recours à des composants issus du monde du scooter.
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La bataille des imaginaires: Le développement de l’usage du vélo cargo s’est fait en soutien à celui plus large du vélo pour récupérer de l’espace public sur celui occupé par la voiture. Que penser si certains vélos, souvent utilisés dans le cadre d’activités de livraison, deviennent si imposants qu’ils entravent l’usage et la sécurité des pistes cyclables par les cyclistes?
Rappelons par ailleurs que définir n’est pas une fin en soi, les normes et les réglementations font l’objet de luttes et d’arrangements lors de leur élaboration. Elles viennent en effet remplir des objectifs et, souvent parfois protéger les intérêts de certains acteurs. Un objectif poursuivi pourrait ainsi être de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou encore protéger les piéton.nes. Un intérêt serait par exemple de ralentir certaines innovations technologiques pour garder des parts de marché. On pourrait aussi “envisager ces politiques à partir d’une compréhension du lien entre processus d’innovation, travail de normalisation et structuration des marchés.”2, mais ne nous lançons pas dans un article de recherche (oulala c’est vraiment tentant la thèse apparemment).
Développement: on arrive au coeur du sujet, sortez les popcorns
la forme, la fonction et les usages
L’histoire du vélo (pas que cargo), nous rappelle bien comment la forme d’un objet peut évoluer dans le temps au fil des innovations et de leur acceptation, sociale comme économique. On apprenait dans l’épisode dédié à ce sujet de l’émission de radio LSD, que de la draisienne sans pédales de 1807, nous avons évolué vers une bicyclette ayant une transmission par chaîne à partir de 1880, pour intégrer ensuite des vitesses. Ce n’est qu’en 1937 que les vitesses sont autorisées sur le Tour de France, alors même que la technologie existait depuis un moment ! Il y a donc une tension entre l’innovation technologique et son intégration dans des usages populaires et réglementaires. Dès la fin du XIXème siècle, les premiers vélos cargo apparaissent en Angleterre. En grande majorité des triporteurs (3 roues), ces vélos étaient utilisés pour du transport de marchandises, venant ainsi remplacer les pieds et les chevaux. Puis, dans les années 1920 sont apparus les biporteurs (2 roues), ou “Danish Long John”, du nom de leur inventeur. Ainsi, dès les prémices, plusieurs manières “de faire vélo-cargo” existaient (pour plus de détail sur l’histoire de ce formidable objet, c’est très bien raconté sur d’autres sites)3). Preuve de cet éclectisme, nos homologues de Cargobike.jetz ont sorti un jeu des 4 familles du vélo cargo! Aujourd’hui on voit aussi se développer l’usage de vélos rallongés, longtails, qui sont considérés comme des cargos compte tenu de leur capacité de transport importante. Par ailleurs, en cyclo-logistique, la fonction “cargo” du vélo est aujourd’hui très souvent “exportée” vers des remorques tractées par des vélos à assistance électrique ou des biporteurs. Fleximodal va par exemple lancer son modèle Tricylift, qui hybride remorque et vélo-couché - incroyablement maniable au passage. Un cycle avec une remorque est-il un vélo cargo dans la mesure où il remplit la même fonction? (Vous aussi vous avez mal à la tête?)
Mais que nous disent les normes et les réglementations aujourd’hui pour les vélos cargo à assistance électrique en France? Nous rappelons que la réglementation relève des pouvoirs publics - elle est donc imposée. Les normes, elles, revêtent un caractère volontaire. S’y conformer n’est pas obligatoire dans la mesure où elles ne sont pas retranscrites dans une réglementation.
Il y a celles qui définissent l’objet en tant que tel, puis les conditions de son usage dans l’espace public, sur la route et les pistes cyclables. Ci-après, tentative de tableau non exhaustive:
Thème | Réglementation | Norme |
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Forme du cycle | Article R311-1 §6.10 du code de la route : “véhicule ayant au moins deux roues et propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l’aide de pédales ou de manivelles” | Norme ISO4210 |
Condition de propulsion “assistée” | Article R311-1 § 6.11 du code de la route : “Cycle équipé d’un moteur auxiliaire électrique d’une puissance nominale continue maximale de 0,25 kilowatt, dont l’alimentation est réduite progressivement et finalement interrompue lorsque le véhicule atteint une vitesse de 25 km/ h, ou plus tôt si le cycliste arrête de pédaler” “l’assistance électrique ne doit s’activer que lorsque la personne pilotant pédale” “l’assistance électrique sans pédaler ne doit pas excéder 6 km/h” | Norme NF EN 15194 |
Vélo cargo en tant que tel | A compléter si vous avez la référence :) | Exigences de performance technique et de sécurité: la norme allemande fait office de référence - norme DIN 79010. Il y a une norme française sur les cycles utilitaires: NF R30-050-1 |
Occupation de l’espace public | Article R431-9 du code de la route : “Les personnes conduisant des cycles à 2 ou 3 roues peuvent emprunter les pistes cyclables” Depuis janvier 2022 ( Décret n°2022-31 du 14 janvier 2022 - art. 3) des dérogations existent pour les “cyclomobiles légers et aux engins de déplacement personnel motorisés” (Article R110-2), soit l’autre nom pour les trottinettes, gyropodes etc. L’ensemble des types de véhicules sont définis par le code de la route (Article R311-1) pour les plus curieux.ses! | Ne s’applique pas |
Et les remorques… | Article R315-1 du code de la route : “Si le poids maximum autorisé en charge de la remorque dépasse la moitié du poids à vide du véhicule tracteur, celle-ci doit être équipée de deux dispositifs de freinage” Concernant leur autorisation sur les pistes cyclable, il y a un flou réglementaire | Ne s’applique pas |
Preuve qu’il y a un manque, un vide (on n’aime pas ça hein), une “norme cargo” est en cours de rédaction à l’échelle européenne, et ne devrait pas tarder à être fournir une référence aux constructeurs. Côté régulation française, la DGITM, aka la Direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités sous l’autorité du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a initié une concertation qui se tiendra dans un calendrier proche. Son objectif est de collecter les positions des fédérations d’usagers, professionnels comme la Fédération Professionnelle de Cyclo-logistique ou particuliers comme la FUB, en vue de poser un cadre réglementaire pour la circulation des vélos-cargo et la protection des utilisateurs de voies cyclables. En filigrane, nous aurons peut être à l’avenir une définition réglementaire de ce qu’est un vélo cargo!
La technique et la mécanique: “T’as des plaquettes de moto, t’es un vélo cargo?”
La question de la définition, faute de norme, se pose aussi au niveau technique. Nous faisons plusieurs constats:
- Il est complexe de trouver sur le marché du vélo cargo des composants et des produits fiables dans le temps: les transmissions s’usent de manière prématurée, les freins aussi, les motorisations électriques cycle ont peu de recul technologique et certains processus de SAV ne sont pas encore rodés;
- Des acteurs de la livraison arrivant dans le secteur de la cyclo-logistique s’étonnent du prix à l’achat et du coût d’entretien élevés des vélos cargos.
A l’inverse, les composants venant du secteur automobile sont éprouvés par des décennies d’industrialisation et se prêtent à des usages intensifs, qui sont ceux du secteur de la cyclo-logistique. Qu’on se rassure, des marques font le lien en déclinant petit à petit leur savoir-faire de l’automobile vers le vélo. C’est le cas de Bosch avec sa motorisation CargoLine et son ABS pour vélos à assistance électrique. Shimano développe de son côté une motorisation dédiée au vélo-cargo, qui reste à éprouver sur le terrain ! Des constructeurs font le choix de recourir à des composants du monde automobile et embarquent beaucoup de technologies, alors que d’autres font le choix de consolider et approfondir avec la filière du cycle comme Douze Cycles ou VUF.
En parallèle apparaissent également des mutants qui mixent des transmissions vélos moyeux intégrés avec des courroies de scooter, et des freins motos avec des roues cycles ! Qui pourra assurer la maintenance de tels matériels non standardisés ?
La bataille des imaginaires
Au-delà des définitions techniques et des usages, autre chose se joue à notre sens : une bataille des imaginaires. Le développement de l’usage du vélo cargo moderne s’est posé comme une alternative, parfois en opposition, aux véhicules motorisés (au début du XXème siècle, il était une alternative à la marche à pied et à la traction animale !). Que penser d’objets qui pour certains reprennent les attributs de l’automobile ? Les enjeux de décarbonation, d’espace public apaisé et sécurisé seront-ils atteints si les vélo-cargo du futur ressemblent davantage à des mini-camionnettes qu’à des cycles ?
Les milieux du vélo et de la cyclo-logistique évoluent également. Initialement portés par des adeptes de la bicyclette, ils le sont aujourd’hui par des travailleur.ses qui n’ont pas d’attachement particulier à l’objet “vélo” tel qu’on l’a connu avant la popularisation des vélos à assistance électrique. Dans des entreprises de cyclo-logistique issues du monde de la course il y a un imaginaire vélo lié à l’agilité et la rapidité : le Bullitt en étant la figure de proue. Conduire un triporteur n’est pas une option, il faudrait 5 ans d’accompagnement en conduite du changement pour y parvenir (et encore) ! D’autres acteurs apparaissent, le plus souvent issus du monde des transporteurs et de la distribution, et utilisent d’autres matériels nécessitant parfois en apparence moins de formation et pouvant être plus capacitaires : les tricycles et les vélos assistance électrique simples équipés de remorque motorisée. Notons que cela correspond parfois à des contraintes métiers comme le transport en froid actif qui nécessite une capacité de charge conséquente (coucou Frais chez toi!).
Toutes ces manières de faire font la richesse de la cyclo-logistique, et montrent que les modèles d’exploitation se cherchent encore. Et, si les imaginaires cohabitent, ce n’est pas toujours le cas sur les pistes cyclables où les conflits d’usages se multiplient.
La chute : on n’a pas la réponse mais nous avons posé beaucoup de questions !
Alors que le développement de la bicyclette était porté par la volonté de se déplacer plus vite, celui du vélo cargo est animé par le besoin de transporter des éléments volumineux (marchandises et personnes - dont les fameux enfants). Quelle sera la limite à la puissance des moteurs électriques et à la charge utile des vélos cargo du futur ?
En réalité, la majorité des débats animant la définition de ce qu’est un vélo cargo visent à protéger des intérêts, conscients ou inconscients, et parfois divergents. En grossissant le trait :
- Constructeurs, transporteurs et cyclo-logisticiens : Souhaitent faire rester les vélos cargo dans la catégorie “cycle”, en vue de garder des avantages concurrentiels vis-à-vis des véhicules motorisés en ville. Cela consiste à avoir accès aux pistes cyclables, se passer de l’obligation de posséder un “permis de conduire vélo cargo” et ne pas être contraint d’être assuré. Les impacts des nouvelles règlementations ne seront pas anodins en terme de modification des produits et de réorganisation des lignes de production chez les fabricants.
- Pouvoirs publics: Doivent partager l’espace public de manière équitable et sécurisée, et s’assurer que la cyclo-logistique continue d’accompagner la transition énergétique.
- Cyclistes urbains et fédérations d’usagers particuliers : Ambitionnent de convertir toujours plus de monde à la pratique du vélo au quotidien, ce qui implique des espaces adaptés, sécurisés et le moins congestionnés possible.
Pour finir, nous nous questionnons sur la pertinence d’amener du high-tech dans un produit initialement low-tech, de plusieurs points de vue: coût d’exploitation et de maintenance, et impact environnemental de la production, du SAV et du recyclage. Quel est l’apport de certaines innovations si la fonctionnalité de base est remplie par des objets déjà existants à 80%? Nous touchons là finalement une question éminemment politique : la fâcheuse tendance de nos sociétés capitalistes à chercher toujours plus de performance, de complexité, d’investissement dans des objets très techniques, dont le coût marginal est plus que questionnable (en miroir, nous pensons au secteur des éoliennes où la course aux plus grosses éoliennes revient, in fine, à augmenter drastiquement le coût marginal, tant les coûts de R&D, de production et de maintenance sont élevés).
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Gaston Bachelard nous explique que la science « réalise ses objets sans jamais les trouver tout à fait, elle ne correspond pas à un monde à décrire, mais à un monde à construire » (La formation de l’esprit scientifique, Paris, Alcan, 1934). ↩
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Pour aller plus loin sur ces sujets de construction des normes, on vous recommande vivement de lire DUDOUET François-Xavier, MERCIER Delphine, VION Antoine, « Politiques internationales de normalisation. Quelques jalons pour la recherche empirique », Revue française de science politique, 2006/3 (Vol. 56), p. 367-392. DOI : 10.3917/rfsp.563.0367. ↩
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Short history of the cargo bike, Historique du vélo cargo, Dedicated to Commercial Bicycles and Tricycles ↩